Commençons par placer un peu le contexte, qui pourrait en première lecture, attribuer des circonstances atténuantes à mes parents. Mon père : issu du croisement d'un père magouilleur (qui a dû verser dans le marché noir entre 1939 et 1945, sinon, impossible d'expliquer pourquoi ils sont remontés dans le nord de la France durant la guerre) et d'une mère égocentrique et dépensière. Mon père a donc reproduit le schéma de ses parents, cas classique en psychologie ! Ma mère est orpheline : son père a été tué au STO pendant la guerre et sa mère est morte dans un incendie. Ma grand-mère maternelle a sauvé son bébé (ma mère) en l'enveloppant dans des couvertures avant de la lancer par une fenêtre. Ma mère était donc de ce fait la personne la moins chanceuse au monde, d'après elle... Certes, ce n'est pas une histoire très classique mais de nombreuses familles juives ont connu des drames équivalents (ou pires) durant la seconde guerre mondiale. Au fait, antisémites et racistes sont aussi des qualificatifs attribuables à mes parents, mais dans une petite ville bien catholique du nord de la France, dans les années 60, c'était malheureusement monnaie courante. Ma mère a été élevée par une tante faisant partie de la bonne bourgeoisie de cette petite ville de 10.000 habitants où le «qu'en dira-t-on ?» qui réprimande sournoisement toute «incartade» à la bonne morale établie, régnait en maître. Et voilà la seconde partie du drame : ma mère était soi-disant riche (du fait de l'héritage de ses parents biologiques) mais sa fortune aurait été spoliée par ses parents adoptifs ! Alors, comment expliquer qu'à même pas 30 ans, mes parents ont pu acheter un corps de ferme (composé d'un grand terrain et de plusieurs bâtiments) pour monter une carrosserie (avec plusieurs ouvriers) et construire une grande maison ? Certes, ce n'était pas la fortune de la reine d'Angleterre mais ils avaient de l'argent à l'époque (et aussi certainement des crédits, mais l'apport devait tout de même être conséquent). Le rapport à l'argent a toujours été problématique pour ma mère, en sachant que le côté magouilleur et dépensier de mon père ne pouvait pas arranger les choses !

Et moi, là-dedans, fruit du croisement entre un Groseille et une «Le Quesnoy» (le film «La vie est un long fleuve tranquille» a été une révélation pour moi ; je pense même que ce sont des extra-terrestres qui m‘ont échangé à la maternité pour réaliser une expérience sociologique sur l'espèce humaine ;-)) ? Je noircis certainement le tableau car il y a eu des bons moments, c'est incontestable, mais en bonne manipulatrice, ma mère savait très bien jouer les martyres (notion de base de la religion catholique), ou les bons samaritains, et passer rapidement au tortionnaire tyrannique, ce qui m'a permis de la qualifier de «fille de Pinochet» lorsqu'un jour, elle est allée trop loin alors je commençais à comprendre son petit jeu pervers (et oui, je lui ai dit que j'avais retrouvé son père au Chili : je savais que cela allait lui faire très mal mais j'imaginais que cette réponse très agressive à un ordre abusif de ma mère allait l'arrêter, peine perdue). Quoi qu'il en soit, mon plus vieux souvenir est bien triste : je suis debout sur une chaise, dans l'appartement situé au-dessus des ateliers de la carrosserie, ma mère me hurle dessus et me gifle en me répétant sans cesse la question «tu t'appelles comment ?», suivie presque immédiatement d'un «mon fils est nul, qu'est-ce que j'ai fait au bon dieu pour mériter ça ?», juste parce que je ne lui répondais pas. J'avais un peu moins de 5 ans, j'allais rentrer à l'école maternelle (que je n'ai presque pas fréquentée) et je ne comprenais pas pourquoi elle me demandait mon nom : elle le savait, pourquoi devais-je lui répondre ? Ce souvenir est très significatif des méthodes éducatives de mes parents. Si les violences physiques sur ma petite personne ont rapidement disparues (notamment grâce à la chienne de garde de la carrosserie, un berger allemand, qui n'écoutait que moi : mon père a dit une fois à un de ses amis, devant moi, qu'il ne pouvait plus me taper car la chienne lui grognait dessus), l'engueulade était malheureusement le moyen d'expression usuel de ma mère ! Ils avaient tout de même peur que je me plaigne à l'école car ils flippaient à chaque fois que passait un reportage sur les enfants battus au journal télévisé. Ils me posaient alors la question «tu penses que tu es battu ?» sur un ton qui ne laissait aucun doute sur la réaction violente qu'ils auraient, si je répondais oui à cette question... Heureusement, je n'étais pas battu physiquement, même si les gifles et fessées pleuvaient facilement à la maison (avec parfois, l'utilisation d'un martinet, instrument de torture qu'on ne trouve même plus aujourd'hui dans les animaleries), mais le climat était assez violent. Les disputes entre mes parents étaient courantes et il faut avouer que ma mère usait de n'importe quel prétexte (comme par exemple, un vase cassé par un chat, un soir de Noël) pour relancer de l'huile sur le feu (ce qui a donné lieu à des réveillons de Noël mémorables, il faut croire qu'ils le faisaient exprès ce soir-là). J'avais tellement peur de leurs disputes que, pré-adolescent, j'avais caché sous le matelas de mon lit, les pointes du tournebroche du four, pensant pouvoir les utiliser comme des armes de ninja.

Ma mère était irresponsable (dans le sens où ce n'était jamais de sa faute quand il y avait un problème) et mon père fuyait toutes ses responsabilités (au moins, c'était plus simple avec lui : il avait donné son petit coup de queue pour toucher les allocations familiales, pourquoi en faire plus ?). Par exemple, un de mes premiers jours d'école maternel, ma mère m'y avait envoyé avec une petite gourmette en or. A 5 ans, on ne connaît pas la valeur des bijoux et quand un camarade de classe m'a demandé cette gourmette dans la cours de récréation, je lui ai donnée ! Imaginez qui a reçu la fessée du siècle le soir ? Franchement, il faut bien être le plus con des parents pour s'en prendre à son gamin plutôt qu'à soi-même ! Mais, cela n'est pas le pire qui me soit arrivé injustement ! J'étais au CE1 ou au CE2 (je me rappelle juste du portail de l'école communale où cela s'est passé), ma mère venait me chercher tous les midis pour manger à la maison. Un jour, elle était en retard, très en retard, et après une bonne demi-heure, la mère d'un copain qui avait attendu pour que je ne reste pas seul sur le trottoir (bien que ce soit déjà arrivé plusieurs fois), a pris sur elle de me ramener avec son fils chez elle. Ma mère m'a finalement retrouvé et je me suis repris une nouvelle fois l'engueulade du siècle, aussitôt que nous étions de retour à la maison avec du «tu ne me refais plus jamais ça !». Je n'y étais pour rien, j'avais même insisté pour rester devant l'école mais à 7 ou 8 ans, on écoute les adultes, surtout la mère d'un copain. Ca aurait peut-être été mieux qu'un tueur en série pédophile m'enlève devant l'école, non ? Bien évidemment, cela n'a pas empêché ma mère d'être de nouveau en retard. On peut dire que ce n'est pas trop grave, que c'étaient des petites fautes d'inattention, des oublis... Peut-être, mais il s'est aussi passé des choses bien pires comme la naissance de mon frère, suite à une sordide histoire de jalousie de mon père, histoire qui a certainement fini en ce que l'on qualifierait aujourd'hui, sans la moindre équivoque, de viol. Ma mère ne voulait pas de cet enfant (et elle ne s'est jamais cachée de la dire, même devant mon frère) et l'a donc plus ou moins rejeté. Bébé, mon cher frère pleurait beaucoup et devinez qui devait s'en occuper, pour l'endormir en le berçant des heures dans son landau ? La réponse est : ni ma mère, ni mon père !

Deux ans plus tard, naissance de ma sœur qui souffrait d'une malformation à l'estomac qui a nécessité une lourde opération chirurgicale à l'hôpital Necker de Paris, alors qu'elle n'avait que quelques jours. Bien évidemment, quand on est irresponsable et que l'on fait des gamins sans se soucier du futur, on ne pense pas à ce genre de problème et on pense donc encore moins à cotiser à une quelconque assurance santé pour subvenir à ce genre d'opération très onéreuse (en tant qu'artisans ne cotisant pas à la sécurité sociale, ils n'y avaient pas le droit). C'est pour cela que quand je me suis cassé le pied vers mes 8 ou 9 ans, mon père a lui-même enlevé le plâtre avec une disqueuse et que je ne n'ai jamais refait de radio pour voir si j'étais bien guéri (de toute façon, mes parents doutaient que mon pied soit bien cassé, les médecins avaient posé un plâtre pour faire joli, ça devait être ça...), mais passons... Ils ont donc connus de vrais problèmes d'argent après la naissance de ma sœur (ce qui a eu comme conséquence directe qu'un matin, juste avant Noël, ma mère m'a appris que le père Noël n'existait pas : même si elle ne pouvait m'acheter un jouet pour Noël, même une toute petite boîte de Lego à deux balles, c'est-à-dire un jouet moins cher que les paquets de clops que fumait mon père, ou les packs de Kro qu'il buvait, elle aurait pu faire semblant... Mais cela n'est pas bien grave, j'étais idiot de croire encore au père Noël à 8 ans). Il faut aussi dire que mon père se laissait «payer» des travaux de carrosserie en chèvre (vivante) ou en carabine 22 long-riffle (qui a servi dans l'une de leurs disputes), et que le fisc a dû leur tomber dessus (forcément, si on achète des pièces pour réparer des voiture et qu'il n'y a pas de facture de l'autre côté, n'importe quel inspecteur aurait pensé qu'il y avait anguille sous roche)... Donc, ce qui devait arriver, arriva : la carrosserie a été mise en faillite ! Cela n'est pas très extraordinaire en soi, ça arrivait à de très nombreuses entreprises dans les années 70, mais cette faillite a pris des tournures dramatiques avec ma mère. Je me souviens d'un jour où elle avait rassemblé tous les magazines de mon père au milieu d'une des chambres de la maison, sur le parquet en bois. Ma mère avait réunis ses trois enfants autour de ce tas de magazines et elle essayait d'y mettre le feu avec des allumettes, heureusement sans succès ! En voyant sa mère en pleurs, se lamentant que son père ne travaillait pas assez et qu'il dépensait tout, qu'est-ce que peut bien dire un gamin de 10 ans ? Un truc du genre «ne pleure pas maman» ! Et qu'est-ce qu'aurait répondu une mère un peu normale ? Un truc du genre, «t'en fait pas, ce n'est pas grave !», non ? Sauf que la réponse a été «mais tu veux qu'ils nous prennent la maison ?» sur un ton accusateur, rempli de haine et de colère, comme si j'avais une quelconque responsabilité dans cette faillite ! Heureusement, quelques années plus tard, ils ont pu profiter d'une opportunité et relancer une nouvelle entreprise qui a plutôt pas mal fonctionné, mais les problèmes d'argent, plus ou moins réels, ont subsisté...

Ce genre de problème d'argent est malheureusement monnaie-courante, beaucoup de familles en connaissent, mais il faut tout de même souligner que le rapport à l'argent de mes parents est à géométrie variable : les autres, quelle que soit la somme qu'ils gagnent (parce qu'ils sont salariés en CDI, même s'il s'agit d'un mi-temps), en ont beaucoup et eux, en ont jamais, même s'ils en ont eu suffisamment pour, entre autres, acheter un terrain à proximité de Cahors et y faire construire une maison avec piscine (et de la laisser quasiment à l'abandon ensuite) ! Quelques soient nos demandes (d'activités en extérieur, en particulier), elle ne pouvait rien faire pour nous (ses enfants) car si elle le faisait pour l'un de ses enfants, il fallait qu'elle le fasse pour les autres et elle n'avait pas les moyens (mais que nous pourrions le faire plus tard, quand nous serions grand) ! Le leitmotiv de ma mère depuis mon enfance a toujours été : «on n'a pas d'argent !». Et encore, ça, c'était la réponse soft, la plus logique, car elle usait plus souvent de la réponse dramatique et imparable : «je me sacrifie pour vous et vous n'avez aucune reconnaissance, je vais mourir de votre faute et vous verrez quand je ne serai plus là» (en sachant qu'elle allait, toujours, bientôt mourir... je reviendrai sur ce sujet) ! Beaucoup de familles ont pourtant trouvé le moyen d'être «agréable» pour leurs enfants sans que cela leur coûte, mais pas mes parents. Je me rappelle de la famille d'un ouvrier travaillant sur le chantier d'une autoroute. Cette famille avait installé leur caravane sur le grand terrain de la carrosserie. Une journée, la mère de cette famille m'a invité dans leur caravane pour jouer avec leurs enfants, à faire des collages, des coloriages, bref, pleins de trucs pas chers... Cette mère s'occupait de ses enfants alors que dans ma famille, dans 99,99 % des cas, c'était «fous moi la paix, regardes la télé ou occupes-toi de ton frère».

Certains pourraient dire que c'étaient les mœurs de l'époque, les parents ne s'occupaient pas des loisirs de leurs enfant... Dans un sens, c'est vrai, mais on habitait à l'écart de la ville, sans voisin. A l'exception d'une poule, d'un lapin qui a dû finir à la casserole, de la chienne berger allemand qui avait été désignée coupable du meurtre du lapin, d'une canne et de nombreux chats que ma mère n'aimait pas (je ne comprends pas pourquoi j'ai voulu pendant longtemps être vétérinaire, peut-être que ces animaux m'apportaient plus d'affection que mes parents ?), je n'avais quasiment pas de copains qui étaient de toute façon triés sur le volet de manière drastique. Quand on est de bonne famille bourgeoise (d'artisans en faillite), on ne fréquente pas les fils d'ouvriers communistes ! Si jamais ma mère me voyait discuter avec un camarade de classe qu'elle ne connaissait pas, j'étais immédiatement passé à la question : «il travaille bien à l'école ? Ses parents font quoi ?». Je comprends qu'on surveille les fréquentations de ses enfants, mais à ce niveau-là, c'était de l'obsession qui tournait au n'importe quoi. Et puis zut, ce n'est pas parce que quelqu'un est fils d'ouvrier qu'il est infréquentable ? Bien évidemment, interdiction de jouer au foot : les gamins qui jouaient dans une équipe de foot n'étaient que de la progéniture d'ouvriers, donc des vauriens (il y avait aussi une interdiction sur les majorettes, des filles d'ouvriers, beurk...). Seuls les fils de directeurs de banque, de chefs d'entreprise ou de fonctionnaires (mais au moins de chefs de service) étaient autorisés ! Cela générait donc de grands problèmes quand j'étais parfois invité chez eux : leurs parents avaient de l'argent et ces «copains» avaient beaucoup de jouets et faisaient des activités qui me faisaient forcément envie...

Cela nous mène donc directement au chapitre jouets : j'en ai eu, je ne peux pas dire le contraire car tant que je restais à la maison, sous leur contrôle, il n'y avait pas trop de restrictions. J'ai même eu un train électrique Jouef quand j'étais tout petit, vers mes 2 ou 3 ans, c'est-à-dire un âge où ce genre de jouet ne convient pas à cause de sa fragilité. Ensuite, pour mon Noël & anniversaire (étant né un 23 décembre, je n'avais généralement droit qu'à un seul cadeau) vers mes 5 ou 6 ans, j'ai eu un modèle réduit d'avion avec un véritable moteur à explosion (le truc où on se coupe facilement un doigt avec l'hélice lors du démarrage du moteur), ou pour être exact, mon père a eu un modèle réduit d'avion qu'il n'a fait voler qu'une seule fois. Je n'avais pas le droit d'y toucher car il était trop fragile pour un gamin de mon âge ! C'est typiquement le genre de cadeau que mon père appréciait, c'est-à-dire un cadeau pour lui. Pour un autre Noël & anniversaire, vers mes 6 ou 7 ans, j'ai eu une petite voiture construite par mon père avec un vrai moteur récupéré sur une moto. Mais l'engin allait trop vite, je n'ai dû l'utiliser que deux fois, grand maximum (mais, même à l'arrêt, un gamin de cet âge peut s'amuser avec un tel engin). Vers mes 11 ou 12 ans, j'ai eu des «Action Joe» mais un matin, ma mère, dans un accès de folie, a tout cassé en les balançant à terre avec rage en hurlant son leitmotiv «je me sacrifie pour vous et vous n'avez aucune reconnaissance !» alors que j'y faisais très attention à ces «Action Joe», comme à la prunelle de mes yeux. Le fait d'être très précautionneux avec les objets que je possède, de manière quasi-maladive, doit être un des premiers séquelles inconscients de la toxicité de mes parents car tout petit, j'ai certainement cassé des jouets inadaptés pour mon âge (jouets qu'ils m'ont donc confisqué et que j'ai retrouvé bien plus tard), mais devinez qui avait dû se faire enguirlander comme pas possible pour avoir cassé un jouet ? Réponse : le seul responsable de la famille qui avait moins de 5 ans à l'époque.

Autre pièce à charge : ma première communion (religion catholique parentale oblige) pour laquelle ma mère avait fait les choses en grand en invitant toute la famille dans un restaurant tenu par des amis à eux, restaurant situé dans un aérodrome (et pour la communion de ma sœur, elle a invité tout le monde dans un des meilleurs restaurant de la ville et donc, un des plus chers ; mais elle n'avait pas d'argent trois mois plus tard, quand j'aurai aimé m'acheter une fois par semaine une pizza, le soir des «omelettes vertes» de l'infâme cantine du lycée où j'étais en pension). Vers la fin du repas de communion, certains invités, pas gonflés, ont commencé à dire qu'ils n'avaient jamais volé (sûrement parce qu'un pilote de l'aérodrome avait dû flairer le filon) et ma mère a commencé à leur offrir des baptêmes de l'air. Pour se donner de la prestance devant les autres, ma mère n'a jamais compté l'argent qu'elle dépensait ! J'ai quand-même eu droit à un vol en avion car je l'avais un peu en travers quand les invités de ma mère revenaient enchantés de leurs vols alors que je restais au sol (pour moi, à cet âge, la star du jour aurait dû être moi ?). Au moins, ce vol a compensé ma déception par rapport aux cadeaux de communion (ce qui compte le plus pour un gamin de 11 ans lors de sa première communion ; il ne faut pas se faire d'illusion : aucun gamin ne va faire l'andouille en robe blanche dans une église, rien que pour permettre à ses parents de répondre au «qu'en dira-t-on ?» de la bonne bourgeoisie catholique) ! J'avais espéré avoir un appareil photo et ma mère m'avait promis qu'il me serait offert par ma marraine, c'est-à-dire une cousine de mon père. Mais je n'ai eu droit qu'à un réveille-matin à deux balles de la part de cette cousine paternelle. Cette déception, suite à l'une des nombreuses promesses en l'air (et non tenues) de ma mère, n'était que dans la continuité des choses... Je sais que ça pourrait faire très enfant gâté qui n'a pas eu ce qu'il voulait, mais ce sont surtout les promesses non tenues de ma mère qui me chagrine le plus aujourd'hui, promesses qui permettaient souvent de faire passer la pilule aux nombreuses interdictions qu'elle nous infligeait. A force de "tu le feras quand tu seras grand", on a envie de grandir trop vite...

Quelques années plus tard, ce désir d'appareil photo s'était mu en celui d'une caméra super 8 (car mon père avait une caméra 8 mm : acheter quelque chose qu'il pourrait lui aussi utiliser augmentait mes chances). En fin d'année scolaire, on était donc passé chez un photographe pour récupérer un catalogue avec le prix d'un tel engin et j'ai travaillé tout l'été dans l'entreprise familiale : tonte, jardinage, sablage de pièces métalliques, etc... Je me levais tôt et je finissais tard, je me démenais comme un diable. Je notais toutes les heures que je faisais, que ma mère m'avait promis de payer 10 francs de l'heure. Et à la fin de l'été, j'avais, virtuellement, l'argent pour me payer cette caméra. Puis, un soir, mes parents sont revenus avec cette caméra : ils étaient allés l'acheter pour moi (c'était bien), mais sans moi (alors que j'aurais bien aimé y aller moi-même, petite déception...) et la remarque de mon père fut alors très blessante : «la prochaine fois, tu te l'achèteras avec ton argent» ! Mais, c'était avec mon argent ? Il devait considérer que le travail que j'avais fait durant l'été, ne payait que ma pension à la maison et qu'il me faisait un cadeau royal avec cette caméra... En fait, le seul vrai cadeau royal qu'ils m'ont fait, presque spontanément (car ma mère était fière que j'entre au lycée, comme tous les gamins de mon âge), fut une belle chaîne HiFi, pour le Noël & anniversaire de mes 15 ans, quand je suis rentré en seconde... Mais l'année qui a suivi, considérant que je n'avais pas bien travaillé en première (j'avais certes quelques notes basses en math, dues à un prof aigri qui s'était raté en classe préparatoire aux grandes écoles et qui notait très sévèrement l'ensemble de la classe), je n'ai rien eu à mon Noël & anniversaire et ma mère avait bien insisté sur le fait qu'elle ne voulait pas me faire de cadeau (mais mon père avait quand-même voulu m'en faire un, et pour une fois, c'était un truc dont il n'avait aucune utilité).

Passons maintenant à un passage très important de ma scolarité soi-disant déplorable : en seconde, les professeurs de français/latin, d'histoire et d'art plastique avaient organisé un voyage d'étude en Italie. Quand les professeurs avaient annoncé une hausse importante du prix du voyage, malgré le fait que les participants à ce voyage devaient réaliser plusieurs actions au cours de l'année scolaire pour récolter des fonds, comme récupérer des vieux papiers, vendre des croissants et pains au chocolat durant les récréations ou servir lors d'un repas italien organisé un samedi soir (à noter que durant ce repas, je suis resté le plus longtemps possible en cuisine pour éviter que mes parents me voient en compagnie d'autres camarades de classe, surtout féminines... Prendre de la distance avec mes camarades de classe était devenu une parade inconsciente pour me protéger de mes parents), j'étais très déçu car je pensais que ma mère ne voudrait pas payer. Mais comme le «qu'en dira-t-on ?» devait en prendre un sacré coup si je n'y participais (et après tout, c'était un voyage d'étude organisé par des professeurs, donc utile pour mes études), elle avait accepté malgré le fait qu'elle allait bizarrement devoir débourser un prix dans la fourchette haute car celui-ci était fixé en fonction des revenus des parents, avis d'imposition à l'appui (mais elle avait une explication : l'état matraquait les artisans et que les artisans...) ! Puis, il faut aussi dire qu'elle venait d'acheter un terrain dans les environs de Cahors, perdu au milieu des cailloux, pour y passer les vacances (et soi-disant la retraite), bref, un détail... Cela dit, revenons au moment clef qui a marqué une étape cruciale dans ma scolarité : le retour du voyage en Italie ! En guise de «Ton voyage t'a plu ? C'était bien ?», ma mère qui venait de souffrir de calculs rénaux la semaine précédente (alors que j'étais en Italie), m'a sorti sa grande tirade inoubliable : «j'ai cru mourir et j'avais dit à ton père que si je mourrais, il ne devait pas te prévenir pour ne pas te gâcher ton voyage» ! Depuis cet instant précis, ayant découvert la puissance de son argument mortel, elle ne s'est plus jamais arrêtée de mourir pour toute occasion qui la contredisait, comme des résultats scolaires (soi-disant) décevants...

En fin de seconde, ce fut la découverte du spleen post voyage, pour moi et tous mes camarades du lycée ayant participé au voyage en Italie. Disons qu'on avait tous un peu levé le pied et que je ne faisais pas exception à la règle, même si j'avais peut-être un peu plus levé le pied (peut-être). Fin juin, le bulletin scolaire est arrivé par la poste et quand je suis rentré à la maison, après les cours, ma mère avait préparé toute une mise en scène : un bleu de travail m'attendait sur une chaise ! J'ai donc eu le droit à une engueulade mémorable avec des «tu es nul, tu vas aller travailler !» et des «je me sacrifie pour toi mais tu n'as aucune reconnaissance, tu verras quand je serai morte à cause de toi» mais aussi toute une déclinaison de questions pour savoir pourquoi mes notes avaient baissé, questions auxquelles il ne fallait surtout pas répondre sous peine de se reprendre gratuitement une nouvelle salve de «tu es nul, tu vas aller travailler !». Dans le lot de ces questions, il y en avait une très représentative du tout nouveau délire de ma mère : «il y a une petite fille qui d'emmerde ?». Et oui, j'avais interdiction de fréquenter des filles car, d'après ma mère, ces «salopes» (même si ce mot n'a pas été utilisé, il résume parfaitement les propos de ma mère) ne voulaient qu'une chose : «tomber enceinte et m'empêcher de faire des études» ! On avait touché le fond mais j'avais compris une chose : motus et bouche cousue sur ce sujet, vivons caché, vivons heureux ! Surtout que, pendant le voyage en Italie, je venais de rencontrer ma première amie (et oui, avec un «e»). Ce n'était pas une copine à proprement parlé (on ne s'est jamais embrassé bien que j'étais amoureux et que ce sentiment devait être partagé par Fabienne) mais une très, très bonne amie qui avait ses entrées auprès du proviseur du lycée (car elle était amie avec la fille du proviseur du collège) et elle avait eu l'occasion de voir mes bulletins de notes (et de les comparer au reste de classe) : d'après elle, j'étais bon élève alors que ma mère ne faisait que me rabaisser à grand renfort d'engueulades dans l'espoir que j'ai de meilleures notes (ils justifiaient leurs engueulades par le fait qu'il fallait me «pousser» pour que je travaille à l'école).

On peut donc maintenant aborder la gestion par mes parents de mon temps libre d'adolescent complexé, ce qui est assez simple car c'était réduit au minimum ! Bien évidemment, je devais tout d'abord penser aux devoirs scolaires, mais quand j'avais fini, si je voulais ressortir pour aller passer du temps avec les quelques copains que j'avais, et donc échapper à leur contrôle pendant une heure ou deux, ils me trouvaient systématiquement des trucs à faire à la maison, comme passer la tondeuse, m'occuper de mon frère (qui a fait du judo pendant quelques mois et devenez qui devait l'attendre sur les marches du gymnase pendant tout le cours de judo ?) ou je ne sais quoi d'autre. La plupart du temps, je glandouillais donc dans ma chambre pour éviter qu'ils me collent des trucs à faire, ne sachant pas si j'étais encore sur mes devoirs ou pas. Pendant les vacances scolaires, j'avais parfois le droit d'aller faire un tour en vélo avec mes copains, quand je ne travaillais pas (certes, rémunéré d'une certaine manière). Mais quand on partait un mois à Cahors, à s'entasser à 5 dans une caravane posée sur un terrain au milieu de rien, je me retrouvais seul, à jouer avec mon frère (qui est 6 ans plus jeune que moi) ou à devoir aider mon père à poser du grillage, faire du béton, etc... Je n'avais pas de copain à Cahors car pour les agriculteurs du coin, une caravane au milieu d'un terrain perdu, ça leur faisait forcément penser à des gitans et tout le monde se méfie des gitans. Ces «vacances» à Cahors étaient un véritable supplice car je les avais sur le dos 24 heures sur 24 à surveiller tous mes faits et gestes ! Cela me fait penser à une autre anecdote douloureuse : ma sœur, toujours prête à faire toutes les conneries qui lui passaient par la tête, car elle était rarement punie contrairement à mon frère et moi, avait joué avec un tube de colle. Mon père, ayant retrouvé ce tube ouvert, a cru que je me droguais et je me suis à nouveau pris gratuitement une engueulade très violente car pour mon père, sa fille ne faisait jamais de bêtise. J'étais coupable, le verdict paternel était tombé et je n'avais pas le droit de me défendre ! Si je m'étais réellement drogué, cette réaction paternelle violente n'aurait fait qu'empirer les choses, enfin, passons...

De temps en temps, je partais en vacances avec mon oncle et sa femme et là, c'était vraiment le top car je pouvais enfin revivre et m'amuser librement avec mon cousin, sans risque de me prendre une engueulade de ma mère pour une raison saugrenue (à toujours essayer de prévoir ses coups de gueule intempestifs, on développe forcément des troubles du comportement, comme une phobie sociale). Mais au retour de ces quelques épisodes presque idylliques, c'était toujours la douche froide car mes parents trouvaient que j'étais devenu insupportable et ils juraient que je ne repartirais plus jamais avec mon oncle (juste une petite anecdote au passage : si sur une aire d'autoroute, un jour de grand départ, personne ne s'est installé sur la seule table de pique-nique libre, c'est qu'il y a une raison logique, comme le fait que cette table soit au milieu d'un champs de boue... Pour eux, je jouais ma précieuse en voulant éviter de mettre de la boue sur mes habits mais je voulais surtout éviter de me faire engueuler ensuite pour mes habits tachés de boue ; de toute façon, la foudre parentale devait tomber, que ce soit pour une raison ou une autre, j'avais toujours tort car ils détenaient la vérité universelle).

Déjà que la pression sur mes épaules s'était terriblement accentuée depuis le lycée, pour que je réussisse mes études, la pire période a commencé après le bac. J'étais en classe préparatoire aux grandes écoles (en «Math Sup») à Arras mais comme les cours se déroulaient en lycée, j'étais donc nul puisque je n'étais pas à l'université (heureusement que sur ce coup, j'ai eu le soutien du professeur de physique de terminale). Le rythme était très soutenu, avec une quantité de devoirs très importante à faire tous les soirs (voire toute la nuit pour certains de la classe) et de très nombreuses heures de cours du lundi au samedi matin (de plus, j'étais en internat, non surveillé, et des fêtards s'amusaient à réveiller tout le monde avec des lits en cathédrale au milieu de la nuit). J'étais alors très fatigué en fin de semaine et le dimanche matin était mon seul espoir de pouvoir dormir ! Ma mère a alors instauré le fait qu'on aille manger tous les dimanches midi dans une cafeteria de supermarché située à 50 km de là où on habitait. Il fallait donc se lever relativement tôt le dimanche matin (en tous cas, bien trop tôt) et c'était donc catastrophique pour moi car j'ai toujours eu besoin de beaucoup de sommeil. Je ne sais vraiment pas ce qui est passé par la tête de ma mère : peut-être croyait-elle que je faisais la fête (avec quel argent ?) durant la semaine, ce qui était la cause de ma fatigue ? J'ai aussi une autre hypothèse, plus dramatique, mais je n'ai aucune preuve de ce que j'avance, même si le fait de m'avoir offert spontanément (et ça, ce n'était vaiment pas leur habitude) le disque de Téléphone «Un autre monde» pourrait être une piste très sérieuse car ils m'ont rarement offert de disques et le choix du groupe ne pouvait pas venir d'eux (avant celui-ci, je n'avais aucun album de Téléphone ; de plus, ils ne connaissaient pas mes goûts musicaux et pire, mon père qui détestait que j'écoute de la musique au casque, aurait voulu que je n'écoute que ce qu'il aimait, c'est-à-dire grosso-modo, des trucs passéistes de «Salut les copains» des années 60, donc du «Johnny Halliday» ; mais pas du «Eddy Mitchell» qui était boycotté à la maison car il avait supporté Mitterrand en 1981). Je pense que ma mère voulait m'éloigner de la maison... Cette hypothèse provient du fait que ce surprenant cadeau spontané correspond approximativement avec la date de la mort de Fabienne que je n'avais pas revue depuis le bac. Avec l'énorme pression de mes parents (pression tyrannique de la part de la mère, et ignorante de la part de mon père) sur mes épaules, eux qui ne comprenaient pas que les années de classe préparatoire sont déjà vraiment très difficiles, j'avais stupidement décidé de ne pas la revoir, pour ne penser qu'aux études, en me jurant néanmoins de la retrouver une fois que j'aurais intégré une école d'ingénieur (ce que j'ai fais, ou du moins tenté de le faire car c'était trop tard). Je ne saurais jamais ce qui s'est passé (ce serait très grave si mes parents ont joué un rôle, certainement indirect, dans la mort de Fabienne) car c'est inutile de le demander à mes parents aujourd'hui : je n'obtiendrais qu'une réponse du style «bin non, on ne voit pas» car ils ont une amnésie très sélective qui leur permet d'oublier toutes les merdes qu'ils ont faites (parce qu'ils n'ont fait que le bien autour d'eux, des vrais petits saints) !

L'année suivante, je suis rentré en «Math Spé» à Lille où le rythme était encore plus intense qu'à Arras. Forcément, le premier trimestre a été très laborieux pour moi et mes notes n'étaient pas au top (mais j'ai bien remonté la pente puisque nous n'avons été que deux dans la classe, à intégrer une école sur concours à la fin de l'année). Ma mère a alors commencé à instaurer le coup de téléphone du vendredi soir. C'était une véritable torture psychologique, entre 30 minutes et une heure d'engueulade hebdomadaire, ou de jérémiades de ma mère qui était toujours le point de mourir (la femme de son frère souffrait d'un cancer : ma mère était donc d'une certaine manière jalouse de ne pas recevoir autant d'attention, et elle s'est donc mise à souffrir de diverses maladies, sans jamais aller voir un médecin puisque, d'après elle, mon père le lui interdisait ; après, c'était difficile de savoir qui était le menteur ou le tyran entre ma mère et mon père car ils étaient aussi horribles l'un que l'autre, mais ma mère n'est pas morte des maladies quelque peu imaginaires de cette époque...). Ces séances hebdomadaires de torture psychologique (masochiste qui plus est, car il fallait que j'appelle depuis une cabine téléphonique) où je servais de souffre-douleur, ont continué ensuite, pendant les trois années d'école d'ingénieur à Bordeaux (et les années qui ont suivi, mais dans une moindre mesure car j'avais fini mes études) ! J'en ai conservé de graves séquelles car c'est toujours un supplice pour moi d'appeler au téléphone, même quelqu'un d'autre que mes parents. Inutile de dire que depuis plusieurs années, je n'appelle plus ces deux vieux imbéciles qui n'appellent pas non plus puisqu'ils considèrent que c'est le devoir des enfants prendre des nouvelles de leurs parents.

Sur cette époque difficile, j'ai aussi une petite anecdote, fleurie, à relater, une anecdote presque insignifiante mais pourtant très révélatrice du comportement injuste de ma génitrice (si je n'ai pas été échangé à la maternité). C'était en début de l'année scolaire en «Math Spé», mes parents étaient invités à manger chez une de leurs connaissances à Lille. Ils étaient passés me prendre au lycée avant de se rendre à ce repas et ma mère voulait acheter un bouquet de fleurs. Comme je ne savais pas où il y avait un fleuriste dans les environs du lycée, je me suis fait traiter de tous les noms par ma mère : «il faut vraiment être con pour ne pas savoir où il y a des fleuristes» ! Forcément, en passant toutes mes journées dans l'enceinte du lycée où j'étais à l'internat, avec des cours commençant à 8 heures du matin et finissant à 18 heures, voire 20 heures les soirs où il y avait les colles (c'est-à-dire les épreuves orales pour préparer les concours), heures de cours suivies de 3 ou 4 heures de révisions et de devoirs quotidiens, je ne pouvais pas savoir où il y avait un fleuriste dans ce foutu quartier autour du lycée. Et lors de ce genre d'événement profondément injuste, mon père ne me défendait pas car ça l'arrangeait bien que les foudres de ma mère ne s'abattent pas sur lui. Presqu'il était content que cela m'arrive, car si ma mère avait renoncé à me faire faire des études, je lui aurais peut-être rapporté de l'argent en travaillant...

En 1984, l'informatique commençait tout juste à émerger pour le grand public (et il y avait aussi les films américains où l'ordinateur était l'ami des ados complexés, les premiers geeks : j'avais certainement besoin de combler ma solitude) et en guise de cadeau du bac, j'aurais bien aimé avoir un ordinateur mais je n'ai eu qu'une calculatrice programmable (il n'y avait que la calculatrice programmable dans la gamme de prix que voulait mettre mes parents ; cela dit, cette calculatrice m'a été fort utile pour les deux années de classes préparatoires et les trois années d'école d'ingénieur). Deux ans plus tard, j'avais mis de côté l'argent du travail de l'été précédent mais il en manquait encore beaucoup (vraiment beaucoup), alors j'ai essayé de me faire offrir la différence car l'informatique était un métier d'avenir avec une certaine garantie de trouver du travail (et ça m'aurait permis, pour une fois, d'avoir une longueur d'avance sur mes camarades de classe qui étaient souvent des enfants d'instituteurs ou de professeurs ; et pour une fois, ils pouvaient mettre les moyens pour vraiment m'aider dans mes études, plutôt que se contenter de leurs engueulades habituelles en guise d'aide). J'ai donc fait le forcing, malgré les arguments pourris de mon père : «il y a des ordinateurs chez France Télécom, tu devrais aller voir !» (c'étaient des minitels) et «tu l'as essayé l'ordinateur que tu veux ? Moi, quand j'achète une voiture, je l'essaie toujours avant !». Ces arguments font sourire, c'est presque normal de répondre ainsi quand on n'y connaît rien, sauf que malgré leur ignorance dans ce domaine, ils m'ont interdit de suivre la filière informatique de l'école d'ingénieur que j'ai intégrée. Ma mère me disait de conserver l'informatique comme passe-temps et de prendre la filière électronique pour avoir du travail... 5 ans après, j'ai trouvé en 1991 mon premier boulot en informatique et depuis, j'ai toujours travaillé dans l'informatique (alors que dans l'électronique, nombre de boîtes ont fermé depuis, en tous cas, elles ont été délocalisées).

Pour en revenir à «mon» premier ordinateur, ma mère a bien fini par l'acheter au nom de son entreprise, pour faire les factures, en effaçant quand-même au passage toute la dette qu'elle avait à mon égard (les heures travaillées dans l'entreprise familiale). Mais j'ai dû utiliser cet ordinateur 6 semaines grand maximum la première année (entre les concours pour les écoles d'ingénieur et le camp de torture à Cahors, je ne l'ai pas beaucoup utilisé), mais seulement 4 semaines l'été de l'année suivante (toujours à cause de la déportation annuelle à Cahors), et même pas 2 semaines l'été suivant (cet été là, j'ai travaillé à Seclin dans le Nord, pour payer le billet d'avion pour la Guyane où j'allais faire mon stage de fin d'étude, donc pas de vacances et pas d'ordinateur). Mais, ô miracle, j'ai pu vraiment l'utiliser 4 mois, l'été et le début de l'automne 1989, avant de partir faire mon service national en Guyane (4 mois pendant lesquels j'ai développé un traitement de texte en basic et assembleur, ce qui m'a été très utile pour mon premier travail en informatique)... Et pendant que j'étais en école d'ingénieur à Bordeaux (sans ordinateur mais avec ma calculatrice programmable), ma mère a acheté au nom de son grand principe d'égalité («ce que je fais pour l'un de mes enfants, je le fait pour l'autre»), un ordinateur à mon frère, et un à ma sœur (même si ces ordinateurs coûtaient moins chers que celui que j'avais acheté ; mais en deux ans, les prix avaient beaucoup baissé et la puissance des machines avait énormément augmenté)... Ces ordinateurs étaient à eux, pas à l'entreprise, et ils les ont utilisés plus que les quelques semaines que j'ai pu utiliser le «mien» (entre guillemets). Mais ce ne n'est pas très grave, c'est juste un peu de jalousie mal placée de ma part...

Mais pourquoi je me plains tant, ils m'ont quand-même bien «acheté» un ordinateur ? Oui, mais au détail près que c'était la même année où ma mère me refusait les 10 francs par semaine pour pouvoir m'acheter une pizza, parce qu'elle n'avait pas d'argent et qu'elle se sacrifiait pour ses enfants, en sous-entendant qu'elle se privait lors des repas pour que nous puissions manger... Cela dit, elle s'est sûrement privée, mais plus pour passer pour une martyre, pour bien me culpabiliser (elle cherchait surtout une raison pour m'interdire de sortir du lycée, alors que j'étais majeur ; au moins, j'aurais pu savoir où il y avait des fleuristes), que par réelle nécessité.. Et parce qu'ils n'avaient pas d'argent, pendant cette période, ils ont aussi acheté pleins de choses inutiles, ou formulé autrement, ils ont purement et simplement jeté de l'argent par les fenêtres ! Il y a eu, entre autre, l'histoire du camping-car. Un couple d'Anglais avait eu un accident pas très loin de là où habitaient mes parents dans le nord de la France. Le fourgon était encore en état (au détail près qu'il était volant à droite) mais la cabine était pulvérisée. Mes parents ont donc racheté (combien ? je ne sais pas, mais ils l'ont acheté) ce véhicule accidenté dans l'idée de le réparer. Mon père a démonté toute la cabine et il a commencé à en refaire une nouvelle, à grand renfort de tubes en acier, de tôles et de contre-plaqués, avant de tout arrêter et de laisser pourrir ce camping-car dans la cour de la maison, les 20 ans qui ont suivi ! Il y aussi les achats de vieilles voitures (je ne sais pas combien ils les ont achetées, mais ça devait bien faire plus de 52 pizzas) : une Citroën traction avant, une voiture américaine qui ne ressemblait plus qu'à un tas de rouille (état qui n'a pas dû s'arranger depuis plus de 35 ans), puis une Peugeot 202, une Peugeot 204 coupé et une Renault 4cv ! Tout ça, dans l'idée de les restaurer (au début, mon père disait que ça serait pour le mariage de ses enfants, puis sa retraite et maintenant, ça devrait être pour son séjour en enfer). La 202, la 204 et la 4cv sont restées quelques années sur le terrain à Cahors, à côté de la caravane (ça renforçait le cadre gitan du terrain) avant d'être ramenées en camion dans le nord de la France (transport qui devait avoir un prix certain)... Et encore, il aurait pu y avoir pire : mon père rêvait d'acheter un 4x4 Range Rover (neuf, forcément), c'est-à-dire à l'époque, le 4x4 de luxe, alors qu'il passait ses soirées devant la télé en bleu de travail maculé d'huile, en portant des chaussettes trouées et crasseuses.

Cette période était aussi celle où ils jouaient immodérément au Loto (et encore heureux que c'était une époque où il n'y avait qu'un seul tirage par semaine)... Et ces deux imbéciles étaient ravis quand ils gagnaient de temps en temps, trois numéros, c'est à dire quelque chose de l'ordre de 30 francs, alors qu'ils misaient quelque chose comme 200 francs par semaine (si je me souviens bien mais la somme misée était importante, bien plus importante que les gains avec 3 numéros). Il leur est arrivé de gagner, une fois ou deux, 500 francs avec 4 numéros, mais même s'ils étaient aux anges (et que malheureusement, ça les encourageait à jouer encore plus, du genre «si j'ai gagné 500 francs, la prochaine fois, j'aurais plus»), cela ne leur permettaient même pas de rembourser le somme qu'ils avaient misé en un mois. J'ai mis longtemps à convaincre ma mère d'arrêter de jouer, en la persuadant dans un premier temps de cacher cela à mon père. Elle était terrorisée à l'idée de penser que si, par malheur, les 6 numéros tombaient, mon père serait hors de lui mais il le fallait bien, la chance qu'ils gagnent le gros lot était vraiment infime (et cela n'aurait jamais résolu leur problème d'argent vu que leur principal problème était la manière dont ils le dépensaient). Le fait d'arrêter de jouer ne pouvait que leur être bénéfique, même si je n'en ai pas profité (ce n'est pas pour ça que j'ai pu m'acheter une pizza, puis, il ne fallait pas gâcher la bonne part d'omelette verte de la cantine). Mais, c'est au moins un des rares combats que j'ai gagné sur leur stupidité.

Pendant ce temps, le régime sec était de rigueur à la maison sauf quand, bien évidemment, ils invitaient des amis ! J'ai encore une petite anecdote qui pourrait sembler insignifiante mais qui est pourtant très révélatrice. Ils avaient invité des amis (les gérants du restaurant où l'on a fêté ma communion) à passer les voir pendant les vacances et ils s'étaient donné rendez-vous sur une des places de Cahors, près d'un bar-glacier. Ma mère a alors payé la tournée à leurs amis. Moi, bien imprégné par la doctrine maternelle «on n'a pas d'argent», je n'avais pris qu'une boisson mais les enfants de leur amis ont demandé des glaces, avec l'approbation de ma mère («si tu as envie de glace, prends-en une !» : cette réplique n'était pas destinée à ses propres enfants mais aux enfants de leurs amis). Quand le serveur a amené les coupes de glaces avec un verre d'eau, j'ai demandé pourquoi il y avait un verre d'eau ? Réponse de mes parents : «Mais t'es con, tu ne connais rien, c'est ce qui se fait chez un glacier !». Comment pouvais-je le savoir ? On n'était jamais allé manger de glace chez un glacier ! C'était presque rien, mais ça m'a fait très mal... Ce manque d'argent à géométrie variable était bien pratique pour nous interdire de faire des choses qui n'auraient plus permis à mes parents de nous contrôler et de nous manipuler à leur guise, et c'est cet aspect précis que je leur reproche (car on ne peut pas reprocher à ses parents de ne pas avoir d'argent).

Leur stupidité m'a aussi bien pourri la vie et cela est aussi difficilement pardonnable. Ils n'ont jamais su faire la part des choses sur ce qui était important, ou pas, et ils accordaient de l'importance à des choses souvent insignifiantes. Prenons comme exemple le permis de conduire qu'ils m'ont payé (cette fois, ils avaient de l'argent) : alors que j'étais submergé de devoirs en «Math Sup», je devais aussi réviser le code (je l'ai juste appris la veille de l'examen où je n'ai fait aucune erreur ; à noter que pour passer cet examen de code, j'ai dû louper des cours mais sous bénédiction maternelle, sauf que le retard pris, difficile à rattraper et potentielle source de notes basses, était pour ma poire...), puis suivre des leçons de conduite, une fois par semaine le samedi après-midi. J'ai malheureusement raté la première fois l'examen de conduite. Ma mère était catastrophé, déjà que j'étais nul parce que je n'étais pas à l'université, j'étais aussi la honte de la famille parce que j'avais loupé mon permis de conduire ! Il ne fallait pas que je parle de cet échec à mon oncle, pour que, lorsque je l'ai eu à la seconde tentative, ma mère puisse fanfaronner «Christophe a eu son permis de conduire du premier coup», car j'étais constamment comparé à mes cousins ! Pendant ce temps, j'avais des notes en mathématique supérieures à 20 sur 20 (ou presque). En fait, le professeur de math du lycée d'Arras notait sur trente points et il ramenait ensuite les notes de l'ensemble de la classe sur 18 ou 19 points (considérant que la perfection n'existait pas) avec une règle de trois en fonction de la meilleure note, c'est-à-dire la mienne. Elle aurait pu s'enorgueillir de ces bonnes notes (obtenues dans un lycée, donc pas à l'université) mais le permis de conduire était bien plus important à ses yeux. N'avoir aucune reconnaissance de son travail important, ça fait vraiment très mal et c'est vraiment trop injuste !

Continuons avec le «n'importe quoi» maternel : octobre 1986, inscription à l'école d'ingénieur, ma mère était descendue avec moi à Bordeaux. Dans les bureaux de l'administration de l'école, nous croisons alors une mère, tyrannique elle aussi (entre personnes toxiques, c'est bizarre comme elles se reconnaissent vite, elles doivent avoir un don...), tout droit débarquée de la Côte d'Azur et donc très bourgeoise, avec sa fille Patricia, obéissant aveuglement à sa mère (ce qui plaisait beaucoup à ma mère). Ma mère a alors décrété qu'elle serait ma copine ! Le mec que j'étais, au visage couvert d'acné et complexé comme pas un, en manque total de confiance en soi, était bien évidemment un grand séducteur, expert en drague (mais peut-être me suffisait-il de citer le nom de mes parents pour que je sois adulé par cette fille, vu le beau parti que je représentais ?). J'allais bien évidemment écouter ma mère, bien évidemment... Je n'avais pas le droit d'avoir de copine avant et d'un coup, je devais avoir une copine, sur ordre maternel. Quelques mois plus tard, pour tenter de dévier ces délires maternels, j'ai essayé de dire que j'avais une autre copine, ce qui était faux. J'avais cité le nom de la fille avec qui j'avais fait du 420 (un petit voilier) sur le lac de Bordeaux (on était que 3 copains à en faire, il fallait bien que je navigue avec une quatrième personne). Le côté pratique de ce nom est qu'il était très commun du côté de Poitier où était née cette fille, mais cela n'a pas refroidi ma mère : elle a établi dans l'annuaire téléphonique la liste de toutes les familles portant ce nom dans le département de la Vienne et elle les a appelées en se faisant passer pour une enquêtrice de l'éducation nationale, pour savoir si ces personnes avaient une fille faisant des études supérieures et où ? Imaginez la honte pour moi si cette folle était tombée sur la bonne famille et qu'elle avait dit que leur fille sortait avec moi, alors que c'était un mensonge ? Je serais passé pour le gros mythomane de la classe alors que la tarée était ma mère. Heureusement, les parents de cette fille n'habitaient pas dans la Vienne (mais ma mère aurait pu tomber sur un oncle ou un des grands-parents)... J'avais eu comme un mauvais pressentiment (comme mes copains étaient déjà filtrés, j'imaginais le pire pour celle qui pourrait être la mère des petits-enfants de ma mère) mais cela fut bien pire que ce que j'aurais pu imaginer !

J'ai dit que j'avais fait du 420 en première année d'école d'ingénieur ? Et oui, mais mes parents ne l'ont jamais su ! Il faut dire que j'étais boursier au taux maximal (mes parents avaient dû changer leur manière de remplir leur déclaration d'impôt parce que ce n'était pas vraiment une période où ils gagnaient moins d'argent) et surtout, cette bourse était versée sur mon compte en banque. Après avoir payé la cité universitaire, les repas (dégueulasses) au restaurant universitaire, les frais d'inscription à l'université, la mutuelle étudiante et les quelques livres utiles (en mutualisant les livres à plusieurs, ça revenait encore moins cher), il me restait assez d'argent pour me payer, via l'association des élèves donc à un tarif négocié et raisonnable, des cours de 420 sur le lac à Bordeaux. C'était le seul loisir que je pouvais m'accorder cette année-là, en dehors d'une semaine de ski (je vais y revenir), de la petite heure à discuter avec les copains, après le repas, sur les marches des bâtiments de la cité U et d'une séance de cinéma par mois (même pas, je n'ai dû y aller que 5 à 6 fois dans l'année scolaire). Certes, je ne pouvais pas me payer la combinaison en néoprène qu'il m'aurait fallu car en jean, l'eau du lac à Bordeaux est bien glacée en hiver mais pour une fois, je faisais un truc, c'était mieux que rien ! Mais pourquoi n'en ai-je rien dit à mes parents ? Pour une raison toute simple : la première fois que je suis rentré dans le nord après la rentrée (en avion, parce que, pour ma mère, il fallait que je prenne l'avion pour le standing de l'ingénieur et comme c'était avec l'argent de ma bourse, elle n'avait aucun problème pour le dépenser) et que ma mère m'a demandé comment cela se passait à l'école, je ne lui ai pas raconté les sections PNP des transistors, ni la transformée de Laplace, mais je lui ai parlé de mes nouveaux copains (en ne parlant que de ceux dont les parents étaient chef d'entreprise)... Je me suis alors payé une soufflante : «on ne te paye pas des études pour que tu t'amuses !», alors qu'elle ne payait presque rien (juste quelques habits en début d'années scolaires) car une très grande partie de l'argent qui a servi à payer mes études étaient versés par l'état. Au passage, puisqu'à 700 km de distance, elle ne pouvait pas surveiller mes fréquentations, j'ai aussi eu droit au chapitre sur les copains : pour ma mère, il ne fallait pas en avoir pour ne pas être déçu, car les copains n'étaient jamais là quand on avait besoin d'eux ! C'est vrai que mes parents confondaient copain (qui gagne bien évidemment plein d'argent et qui peut donner sans le moindre mal, plus de 10.000 francs par mois pour aider autrui) et bienfaiteur chargé de payer pour les conneries des autres. Mais ne dit-on pas que les bons comptes font les bons amis ? D'après eux, je devais avoir une vie monastique, entièrement dédiée aux études et au service de mes créateurs, bien évidemment aimants et bienveillants, sans vie sociale. Ce n'est pas ce qu'il se fait de mieux pour travailler ensuite dans une grande entreprise, au sein d'une équipe, c'est-à-dire l'avenir qu'ils voulaient pour moi... Leur raisonnement était contradictoire, comme d'habitude. Ou était-il tout simplement inexistant ? La solution la plus simple à un problème donné est souvent la meilleure. 

La seconde année d'école d'ingénieur, je n'ai plus rien fait côté loisir (sauf la petite heure à discuter avec les copains, après le repas, sur les marches des bâtiments de la cité U) car en début d'année scolaire, mes parents ont débarqué à Bordeaux quasi à l'improviste avec leur ton altier habituel : «tes géniteurs sont là, prosternes-toi devant eux !». J'étais très mal à l'aise de les voir débarquer ainsi car j'allais encore me prendre des soufflons gratuitement (vite, où sont les fleuristes ? C'est une question de vie ou de mort...) et ma mère avait toujours en tête son délire sur la Patricia (je pouvais donc m'attendre au pire sur ce sujet). J'ai donc tout fait pour éviter qu'ils croisent un de mes copains car j'avais très peur qu'un de ces amis lâche le morceau sur les cours de 420 de l'année précédente. S'ils apprenaient que je leur avais caché ça, j'aurais eu le doit à la guillotine ! Heureusement, une telle catastrophe n'est pas arrivée mais j'ai quand-même eu droit à une méga-engueulade, par téléphone, deux jours après : ils ont trouvé que j'avais honte d'eux ! La raison n'était pas là, mais bon, passons... Je déprimais... Mes résultats scolaires ont baissé et en fin d'année, j'ai de nouveau eu le droit au long interrogatoire digne de la Gestapo pour que je leur donne des explications (j'avais 21 ans, mais rien ne les arrêtait). Mon moral était au plus bas, on peut dire qu'ils ont eu de la chance car un cercueil aurait très bien pu être la dernière dépense que ma mère ait eu à payer pour moi, vu que mes études, qu'elle voulait que je fasse, lui coûtaient si chères (à croire que si un enfant ne leur rapportait pas d'argent, il leur coûtait cher...).

Revenons à la semaine de ski, dans les Pyrénées, organisée en mars par l'association des élèves et l'UCPA (en dortoir et bouffe de cantine, donc pas très cher, et je pouvais me la payer avec l'argent de la bourse) : j'en avais parlé à mes parents, en pensant qu'ils accepteraient sans problème parce que mon frère était parti en classe de neige quelques années auparavant (et ils avaient acheté tous les habits qu'il fallait, alors que j'avais prévu de me débrouiller en jean) et parce que je ne pouvais pas cacher le fait que pendant cette période de vacances scolaires, je ne rentrerai pas chez eux. Ils ne m'ont pas interdit d'y aller mais ça ne leur plaisait pas vraiment. La séance de torture téléphonique hebdomadaire est donc devenue quotidienne pendant cette semaine de ski. Séance pendant laquelle, je me faisais traiter de Jean-Claude Killy sur un ton qui aurait pu être pris pour de la plaisanterie mais dont il ressortait beaucoup trop d'ironie. Ma mère a alors essayé plein de stratégies pour que je renonce à participer à cette semaine de ski par la suite. Elle est allée jusqu'à me promettre une voiture neuve (une Peugeot 205) qu'elle achèterait (avec quel argent ?) pour son entreprise mais qui serait pour moi (mais en essayant tout de même que je ne parte pas avec cette voiture à Bordeaux). Il faut aussi dire que l'été précédent, j'avais retapé avec l'aide mon père, une vieille Méhari toute déglinguée qu'il m'avait fait acheter à un agriculteur dans la Somme (à un prix conséquent ; ce qui me fait penser que les 202, 204 et 4cv n'avaient pas dû être achetées au franc symbolique). On avait refait le moteur (les pièces avaient été payées par ma mère sans problème car elles étaient passées dans les frais généraux de son entreprise) mais mon père n'étant pas un bon mécanicien, ses réparations n'ont pas tenu pas le coup. Du coup, le moteur était retombé en panne... Ma mère voulait donc que je revende cette voiture, ce que je me refusais de faire. La 205 était donc un bel appât pour que je revende ma Méhari et que je renonce au ski : elle faisait d'une pierre deux coups ! J'ai donc revendu cette Méhari avec le moteur défaillant, en faisant croire que le voyant d'huile qui clignotait au ralenti était normal (mais j'ai compris la leçon : ne pas suivre l'exemple de son père magouilleur et être réglo vis-à-vis des autres !) et je ne suis plus reparti au ski. Par contre, ma mère n'a pas hésité à récupérer tout l'argent de la vente de la Méhari, ce qui voulait dire pour moi que j'avais payé une petite partie de la 205.

La première année en école d'ingénieur était aussi l'année de mes 20 ans et normalement, dans une famille censée, ça se fête... Dans une famille censée... Avant de partir pour les vacances de Noël, tous mes copains m'avaient souhaité un bon anniversaire, et tous m'avaient demandé si j'allais avoir un bon repas d'anniversaire. Je l'espérais bien... Sauf que le 23 décembre 1986, j'ai eu le droit à un «œufs frits et frites» en guise de repas d'anniversaire, c'est-à-dire le plat préféré de mon père qu'on devait manger 3 ou 4 fois par semaine chez mes parents (entre le «steak - frites», la «côte de porc - frites» ou le n'importe quoi d'autre, pourvu que ce soit bien gras, avec des frites) et plat que je ne supportais plus (ma mère n'a jamais compris ce qu'était un repas équilibré et pour elle, obèse voulait dire bien nourri). Elle n'avait même pas pris le temps de faire un gâteau d'anniversaire. Ce qui m'a principalement choqué est sa réaction quand je lui ai demandé pourquoi elle n'avait pas préparé un plat que j'aimais (rien que des spaghettis bolognaises, ou à la carbonara, c'est à dire des plats pas forcément plus onéreux que le «œufs frits et frites») : j'ai eu le droit au «on n'a pas d'argent et ton père a invité ses parents (qu'elle détestait) pour Noël, il faut faire des économies» avec un ton rempli de rage et de haine (belle démonstration de respect des parents et du sens de la famille, au passage) ! Super, l'anniversaire de mes 20 ans, inoubliable mais pas pour la même raison que la plupart des personnes ayant eu 20 ans en France. Elle a essayé de se rattraper l'année suivante, pour mes 21 ans (ces deux passéistes ne s'étaient pas aperçus que l'âge de la majorité n'était plus à 21 ans, mais passons...), en m'offrant une «belle» montre, d'après ma mère... Sauf que 2 ans après, le boîtier de cette montre était déjà bien corrodé, pour une montre soi-disant chère (j'ai une Casio depuis plus de 10 ans que j'ai toujours au poignet 24 heures sur 24, elle ne bouge pas du tout alors que ce n'est pas une montre de luxe). Mais là encore, le problème n'était pas d'avoir acheté une montre de pacotille, mais de m'avoir menti (à moins que ma mère se soit fait avoir par le bijoutier, ne sait-on jamais ?).

Revenons sur le fait que mes parents n'ont pas vraiment payé mes études car justement, ma mère s'est bien aperçue qu'elle n'y avait pas grand-chose à débourser et c'est là, qu'elle a eu une idée faramineuse : j'allais demander un prêt étudiant qu'elle pourrait utiliser pour faire construire une maison (secondaire) à Cahors ! J'ai essayé de refuser mais le combat était disproportionné car je n'avais bien évidemment aucune reconnaissance et aucun respect pour mes parents, toujours ce fameux argument... Sauf que quand j'ai décroché un stage de fin d'études au centre spatial guyanais, l'histoire est devenue épique : il fallait payer le billet d'avion (la rémunération du stage pouvait payer le billet mais il fallait avancer l'argent, trois ou quatre mois...). Et là, catastrophe, elle n'avait pas d'argent, ce qui aurait pu être vrai puisque j'étais boursier avec le taux maximal, sauf que on ne se fait pas construire une maison secondaire sans avoir d'argent (ou du moins, aucune personne censée n'oserait le faire). Mais elle a trouvé la solution : pour une fois, j'ai eu le droit de travailler l'été en dehors de l'entreprise familiale, pour payer le billet d'avion. Grâce à mon oncle, elle m'a trouvé un job d'été d'un mois et demi à Seclin, au centre technique régional des Caisses d'Epargne du Nord. En plus, j'allais développer des petits programmes informatiques, parfait pour commencer à accumuler de l'expérience (et ce job d'été va peut-être même me sauver pour la retraite, pour éviter de partir à 67 ans). Je pense que cela peut suffire comme preuve sur le fait qu'ils ne m'ont pas vraiment payé mes études, même s'ils m'ont prêté une voiture pendant cette période et qu'ils m'ont habillé (nourri et logé quand je revenais pendant les vacances scolaires). On peut noter au passage que, quand je suis retourné en Guyane pour mon service national, mon frère est venu me rendre visite et qu'il a bien fallu quelqu'un pour lui payer le billet d'avion... C'est quand-même un peu bête que tous mes griefs à leurs égards tournent autour de l'argent, mais c'était l'obsession de ma mère, et surtout la raison des multiples interdictions que je subissais, même quand ça ne lui coûtait pas d'argent.

Nous arrivons alors à la fin de la dernière année d'école d'ingénieur, après le stage en Guyane où mes collègues de Kourou m'ont remotivé pour finir cette année scolaire. J'ai obtenu mon diplôme d'ingénieur avec plutôt de bonnes notes. J'étais fier de moi mais quand le bulletin est arrivé chez mes parents, il n'en a pas été de même : je n'ai reçu aucune félicitation mais ils m'ont reproché ma plus faible note, de 12/20, que j'avais obtenue pour mon «fameux» (dixit mes parents) stage de fin d'études (qui leur a tant coûté), alors que cette note n'avait finalement aucune valeur pour mon avenir. La mention sur mon CV d'un stage en Guyane (que beaucoup de responsables d'entreprise imaginaient être un pays étranger, oh les gros nuls... euh, désolé, je reprenais le schéma parental, les psychologues disent qu'on reproduit souvent le comportement de ses parents), au centre spatial, était bien plus importante qu'un stage dans une petite PME du centre de la France comme l'ont fait beaucoup de mes copains. Ils ont eu du mal à trouver du travail après leur service militaire alors que grâce à mon CV avec ce stage en Guyane, j'ai eu plus d'opportunités. Et dire que ma mère avait commencé à insister pour je fasse une thèse : bin, oui, rajoutons du travail pour bien me disperser (comme le latin en terminale qui ne m'a rapporté aucun point, vu que j'étais pour une fois, bien nul dans cette matière optionnelle, alors que j'aurais pu travailler encore plus les maths et obtenir une meilleure note au bac, avec un gros coefficient) et faire baisser mes notes... Ca aurait été un beau prétexte pour m'engueuler encore plus, elle devait aimer ça... Et surtout, c'était repartir pour une année supplice téléphonique hebdomadaire, comme je suis masochiste, j'aurais adoré ça...

Heureusement, j'ai pu repartir en Guyane pour mon service national (j'étais accepté par le CNES, mais il y avait une embrouille militaire car j'avais déposé un dossier de «scientifiques du contingent» et un dossier pour le «Volontariat à l'Aide Technique», pensant pouvoir choisir, ce qui est une grave erreur avec les militaires car les deux dossiers étaient acceptés mais le responsable des VATs était moins gradé que l'autre ; il a fallu l'intervention de quelqu'un d'encore plus gradé que ces deux andouilles, un général de gendarmerie, le frère de la femme de mon oncle, pour les mettre d'accord). Le bonheur : 16 mois en Guyane, à 7.000 km de ma mère, malheureusement toujours joignable par téléphone (mais il n'y avait plus de bulletin de notes et le temps qu'elle trouve d'autres raisons pour m'engueuler, j'ai eu un peu de répit lors des séances hebdomadaires de supplices téléphoniques). 16 mois pendant lesquels j'ai pu renaître (même presque naître : ça m'amuse d'ailleurs de dire que je suis né en Guyane) et apprendre à vivre (c'est à dire avoir enfin du temps libre pour aller à la plage ou se balader en forêt, c'est-à-dire faire quelque chose, enfin...). Ces 16 mois n'ont certes pas tous été de tous repos car je me suis fait cambrioler dès le début : les voleurs étaient partis avec la montre de mes 21 ans (pas grave) mais bien pire, avec l'appareil photos que j'avais acheté avec une petite partie de l'argent du job d'été, avant mon stage de fin d'études. Alors que, quand mes parents s'étaient fait cambrioler, une dizaine d'années auparavant, ma mère était dans tous ces états et se lamentait que personne ne leur venait en aide financièrement (elle a toujours su ce que les autres devaient faire de leur argent), on aurait pu imaginer que... Que rien du tout, oui, car il n'y a rien eu, pas d'aide, rien, nada ! Pendant ces 16 mois, elle ne m'a rien envoyé, même pas un petit colis avec des friandises ou d'autres trucs à manger (heureusement, j'aurais peut-être reçu un litre d'huile et des pommes de terre).

Même quand mon frère est venu me rendre visite en Guyane, il est arrivé sans rien pour moi de la part de mes parents, même pas un petit paquet de gaufres fourrées (et c'est moi qui est dû acheter le billet d'avion de mon frère avec de l'argent que ma mère avait versé sur mon compte, moyennant une petite embrouille pas bien claire au passage, sur l'argent qu'elle me devait suite aux heures de travail que j'avais faites dans l'entreprise familiale avant de partir en Guyane ; mais ce n'était pas grave, je touchais une indemnité pendant mon service, je n'avais pas trop besoin d'argent même si ce n'était pas folichon). Cela me fait d'ailleurs penser que c'était l'été du bac de français pour mon frère et ses notes étaient un peu sous la moyenne. Quand ma mère a reçu ses notes au bac et qu'elle nous a appelé en Guyane, rien qu'au ton de ses premiers mots (qui n'étaient pas «bonjour, ça va ?» mais «tu me passes ton frère !»), je savais qu'elle appelait pour se défouler sur mon frère ! Et mon père pendant cette période ? Egal à lui-même, toujours raciste et égocentrique ! Je ne suis rentré qu'une fois en métropole pendant ces 16 mois en Guyane et ils m'avaient raccompagné à l'aéroport pour mon vol retour vers Cayenne. Dans la file d'attente du guichet d'enregistrement, mon père a sorti avec sa voix forte, qui porte bien : «ça me plairait bien ce genre de pays mais il y a ça (il désignait les noirs) qui me dérange !». Super, ça, c'est dit... On peut passer à l'extermination de masse des noirs ou on attendra une autre fois ? Pas un pour rattraper l'autre ! Pitié, dites moi que j'ai été échangé à la maternité, ça me rassurerait car je ne peux pas être le résultat du croisement de ces deux imbéciles...

Après 13 mois d'économies drastiques (des randonnées à pied en forêt ou des après-midi à la plage, ça ne coûte rien quand on habite en Guyane ; en tous cas, hors de question d'aller en boîte de nuit ou d'aller se saouler dans un bar, je voulais voyager, j'ai donc économisé le plus possible pour m'offrir ce rêve), je suis parti en pur routard 1 mois en Argentine, Brésil et Chili avec un copain, et 15 jours, seul, aux Etats-Unis (voyage très utile pour améliorer mon anglais et ainsi trouver un meilleur emploi), avant de rentrer en métropole. Là, mes parents, très mécontents de mes 1,5 mois d'escapade sur les continents américains, m'ont sorti un «on ne savait pas où tu étais, s'il NOUS était arrivé quelque chose (forcément, à mourir tous les jours, il faudra bien qu'un jour ça arrive), que ce serait-il passé ?» avant de continuer par un «tu as vu l'Amazonie que tu rêvais de voir, c'est bien mais maintenant, tu ne repars plus jamais !». Ils n'ont pas eu peur qu'il m'arrive quelque chose, ce qui aurait pu être compréhensible pour des parents normaux. Non, ils se sont juste inquiétés pour eux. Ils étaient déjà allés trop loin mais là, c'était le comble ! A 24 ans, j'avais enfin pu faire quelque chose que je voulais, sans avoir besoin d'argent de leur part, je ne leur devais rien, je n'avais aucun compte à leur rendre. Ils n'avaient pas à me donner des ordres sur ce que je devais faire ! C'est à ce moment-là que J'ai commencé à traiter ma mère de «fille de Pinochet» (je revenais du Chili) et les trois mois qui ont suivi ont été très difficiles (ma mère a même essayé de faire appel à son frère pour me raisonner, pensant que je l'écouterai mais je pense que son frère savait bien où était le manque de raison). En plus, quand j'étais rentré en métropole, 8 mois auparavant, c'était pour le mariage d'un copain où j'avais fait la connaissance d'une amie de la mariée qui avait été intéressée pour partir en Argentine avec moi. Même si cela ne s'était pas fait, nous avions continué à nous écrire. Mais ce n'était qu'une amie, sans plus (même si j'aurais aimé que ça aille plus loin, mais ce n'était pas le cas), et elle a continué de m'écrire chez mes parents quand je suis rentré de Guyane. J'ai encore eu la chance que ma mère n'ouvre pas la lettre, ça s'est joué de peu, mais cette amie avait mis son nom et son adresse au dos de la lettre ! Ma mère mourrait d'envie d'en savoir plus, avant de mourir d'un tas d'autres maladies imaginaires parce que je me refusais de lui dire quoi que ce soit, sauf que c'était juste une amie. En plus, elle s'appelait Nelly, comme la peste dans «La petite maison dans la prairie», ce qui donné lieu à un délire total de la part de ma mère : «Et c'est quoi comme prénom Nelly ?». Bin, un prénom comme un autre... Déjà que ces deux cons faisaient dans leur froc, des fois que je revienne avec une Guyanaise, que dire si ce prénom avait été Hamida, par exemple (bien choisi), un prénom arabe ? Mon frère et moi avions eu comme remarque de la part de notre père, quelques années auparavant, que ça barderait pour notre matricule si on lui ramenait une arabe (bien que le mot arabe n'ait pas été utilisé, remplacé par un surnom bien plus insultant).

Je n'allais pas tarder à être complétement autonome mais fallait-il encore que je trouve un travail. En attendant, ils devaient juste me loger, me nourrir (je me contentais des frites, bien grasses, baignées dans une huile de friture ayant servies de trop nombreuses fois) et me prêter une voiture pendant quelques semaines. J'avais encore de l'argent de côté pour me payer des habits «comme il faut» pour les entretiens et l'essence pour me rendre aux entretiens. Mais en avril 1991, juste après la chute du mur de Berlin et la première guerre en Irak, la crise sévissait et ce n'était pas facile de trouver du travail. J'avais bien commencé à envoyer des CV depuis la Guyane mais avec 7.000 km de distance avec la métropole, cela n'avait rien donné. Il a donc fallu un peu de temps pour que cela se mette en place, que je participe à des forums / salons, pour que je commence à avoir des réponses positives. Je cherchais un travail qui me plairait, je ne sautais donc pas sur la première réponse positive (je n'allais tout de même pas travailler sur des parcmètres). Mais en deux mois, j'ai trouvé du boulot, ce qui est à mon sens, relativement court, alors que ma mère commençait à me traiter d'incapable parce que je ne trouvais rien. L'expérience acquise en Guyane m'avait bien aidé, ainsi que mon voyage aux USA (le gars aux parcmètres voulait m'envoyer aux USA : à l'époque, mon accent devait être bluffant pour ce gars qui croyait que la Guyane était une île étrangère). Par contre, je n'ai pas trop eu le choix pour la localisation géographique de ce travail : en région parisienne, bien loin de la mer et des forêts tropicales, mais aussi trop près de ma mère. Elle a alors commencé à me dicter ce que je devais faire de mon argent : acheter un matelas, un bon clic-clac, une armoire, une machine à laver le linge, etc... Et pour financer cela, avec la caution pour l'appartement, elle allait remettre l'argent sur le prêt étudiant (encore heureux, je n'avais pas vu passer le couleur de cet argent) et ça serait à moi de le rembourser. Magouille, magouille...

Comme mon travail était à Massy-Palaiseau, je louais un «studio +» à Gif sur Yvette, en rez-de-chaussée, dans un immeuble de 3 étages, situé dans un cadre arboré. La partie arrière de ce «studio +», qui avait été une cave en sous-sol avec un fenestron, avait été aménagée en chambre. Cela me faisait donc de l'espace en plus mais je crois que je n'aurais jamais dû le prendre. Hormis le fait qu'il était mal isolé, ma mère a aussitôt décidé que ça serait leur étape (située seulement à 150 km du départ, il leur restait encore 650 km à faire) pour descendre à Cahors... C'est pour ça qu'elle avait insisté pour que j'ai un lit et un bon clic-clac, pour qu'ils puissent dormir chez moi. Ca n'aurait pas été trop grave si la première année, alors que je venais de commencer mon travail début juin, elle voulait que j'aille passer les vacances avec eux à Cahors ! Je n'avais pas de congés (et hors de question de prendre du sans solde), et surtout, je n'avais pas envie de passer mes vacances à 5 dans une caravane, avec mes parents sans arrêt sur le dos pour surveiller tous mes faits et gestes et me dicter insidieusement ce que je devais faire ou pas. J'avais juste accepté de descendre avec eux pour le pont du 15 août (on peut noter au passage que les restaurants ouverts un week-end de 15 août en banlieue parisienne ne sont pas légion : franchement, tous ces restaurateurs qui étaient partis en congés sans demander la permission à ma mère... Et moi qui, en 2 mois, avec le mirobolant salaire d'ingénieur que je touchais, je n'avais pas testé tous les restaurants de la région... On frôlait une nouvelle fois le ridicule, passons...). Je ne sais pas pourquoi, mais au lieu de rester à Cahors, mes parents ont décidé de remonter dans le nord avec moi à la fin du week-end. Ma mère tirait une gueule pas possible. Elle était spécialiste du fait, mais là, il faut avouer qu'elle aurait pu décrocher un premier prix au livre des records. Elle m'en voulait à mort. Mais ne pouvait-elle pas comprendre qu'à 24 ans, on ait envie de faire autre chose que se faire chier sur un terrain perdu au milieu des cailloux, à supporter ses parents ? A 24 ans, célibataire, on a envie de rencontrer des gens de son âge, à particulier des filles, et surtout sans se faire chaperonner pas ses parents !

A peine un an plus tard, ma mère a trouvé la solution finale pour finir d'exploser mon compte en banque : elle a voulu reprendre la 205 pour la donner à mon frère (elle en avait le droit, ou presque, je ne pouvais pas dire grand-chose) et je devais en acheter une nouvelle ! Ils ont alors pris un rendez-vous pour moi, dans une concession Peugeot pour que j'achète une voiture neuve, et c'est l'adjectif neuf qui est le plus ennuyeux dans l'histoire ! Bien sûr, pour le standing, un riche ingénieur (débutant, vivant en région parisienne où les loyers sont immondes) se devait d'avoir une voiture neuve, même si cette voiture allait devoir rester dans la rue, en banlieue parisienne, et que côté salaire, ce n'était pas la corne d'abondance (on peut noter au passage la remarque du commercial du garage qui avait eu besoin de mes feuilles de paye pour le crédit de la voiture : il avait été surpris par mon salaire car il touchait plus que moi sans avoir un «bac + 5 »... En fait, il faut surtout noter l'absence de réaction de mes parents suite à cette remarque, pour eux, je gagnais beaucup d'argent, grâce à eux et aux études qu'ils m'avaient payées). Pour arrondir les bords, ma mère avait trouvé une nouvelle magouille : elle rembourserait mon prêt étudiant (rappelons qu'elle avait quand-même récupéré l'argent de la Méhari à l'époque). J'ai cru que ça serait une bonne affaire pour moi, j'ai accepté. Sauf que deux ans plus tard, mon employeur me faisait une vacherie : il avait inventé, avec la bénédiction et l'appui des syndicats, un accord de réduction du temps de travail, 5 semaines de congés de plus mais absolument non payés, c'est à dire, une réduction de salaire de 5 semaines par an ! Après avoir payé le loyer (qui n'avait cessé d'augmenter, contrairement à mon salaire figé depuis 2 ans), les charges (ça me coûtait une fortune en électricité car le «studio +» était mal isolé, surtout la cave/chambre équipée d'un radiateur électrique) et le crédit de la voiture, il me restait juste assez pour manger des spaghettis à la carbonara les jours de fête. Je ne pouvais plus voyager, je me retrouvais donc à nouveau dans une vie monastique, seul (car j'avais coupé les ponts avec mes amis de l'école d'ingénieur qui étaient sur Paris, car si je voulais voyager, je devais économiser et il m'était totalement impossible de sortir avec eux dans des bars branchés). Soit je changeais d'appartement pour habiter aux Ulis (une banlieue pourrie de Paris) où je risquais très fortement de me retrouver un matin sans voiture à cause de petites frappes de banlieue qui me l'auraient volée ou incendiée, ou soit je changeais de travail alors que la crise s'était encore plus accentuée depuis 3 ans. Ma mère avait pourtant trouvé la solution : au lieu de payer un loyer, il fallait que j'achète un appartement ! Bien sûr, avoir un crédit immobilier sur le dos, en plus d'un crédit à la consommation pour la voiture, c'est parfait pour résoudre des problèmes d'argent... Et comme je n'avais aucun apport, j'aurais payé ce crédit immobilier au prix fort, pour finir ma vie, seul, dans un studio pourri situé dans une banlieue pourrie. Je n'avais finalement qu'un choix : quitter Paris et sa région (que je ne supportais plus), et partir aussi loin que possible de ma mère...

Une dernière anecdote pour en finir avec cette période parisienne très difficile, avant que je déménage à Toulouse : un an après mon retour de Guyane, ma mère m'a forcé la main pour que je prenne un chaton (alors que j'aurais pu prendre avec moi mon vieux chat tout sage). Une magnifique et gentille petite chatte isabelle, Alf, heureusement pas très turbulente et peu encline à la décoration d'intérieur (si ce chaton avait décidé de refaire la tapisserie de l'appartement en location, cela aurait pu être très ennuyeux). Le problème est que ce chaton signifiait surtout le renforcement de ma vie monastique : hors de question de sortir tous les soirs (même si de toute façon, financièrement, je ne pouvais pas sortir) car je ne pouvais la laisser seule dans l'appartement toutes les journées (que je passais au travail et ces journées étaient bien longues à l'époque) et tous les soirs. Alf était donc ma seule compagnie pour mes longues soirées de week-end à jouer à Civilisation sur ordinateur. J'adorais cette chatte et pour rien au monde, je lui aurais fait du mal mais ma mère a sorti une fois à Anne-Marie, que je criais sur Alf ! Ce qui est totalement faux car un chat prendrait vite des distances avec un maître tyrannique (au fait, mes chats m'ont jamais supporté ma mère, bizarre non ?).

On arrive donc à ma rencontre avec Anne-Marie, à presque 29 ans... On s'est rencontré en septembre 1995, et quand j'ai annoncé à ma mère quelques jours plus tard, que j'étais avec quelqu'un, ses premiers mots ont été : «Elle est divorcée ? Elle a des enfants ?». Ca lui aurait écorché sa langue de me demander «Tu es heureux ? » ou «Elle te plait ?». On pourrait imaginer qu'elle ne pensait qu'à mon bonheur, mais je suis certain que c'était surtout le «qu'en dira-t-on ?» qui l'a emporté. Imaginez, le fils de la grande cheffe d'entreprise qui sortait avec une divorcée qui avait déjà des enfants, les ragots que cela aurait pu donner dans leur petite ville catholique de 10.000 habitants, ville bien éloignée de Toulouse ? Bref, c'était encore une fois du n'importe quoi ! 3 mois plus tard, pour le nouvel an, nous sommes partis avec Anne-Marie en Guadeloupe, après avoir partagé le réveillon et le jour de Noël entre nos parents. Alors que nous n'avions pas décidé de nous marier, mes parents sont allés, sans prévenir qui que ce soit et donc totalement à l'improviste, chez les parents d'Anne-Marie dans le Lot et Garonne, sûrement pour vérifier s'il y avait une dote... Mais merde, on avait presque 30 ans, mes parents, ces indécrottables artisans du nord, n'avaient pas leurs mots à dire, c'était comme ça et puis c'est tout ! Il s'est trouvé qu'après avoir passé quelques jours ensemble en Guadeloupe, Anne-Marie et moi avons décidé de nous marier, mais mes parents n'en savaient encore rien... Quant au mariage, il me semble important de relater la réaction de ma mère face à nos faire-part : les dessins de poissons dans des aquariums et l'absence de mention «Mr et Mme XXX sont fiers de vous annoncer le mariage de leurs enfants» ne lui plaisaient pas car ils ne faisaient pas sérieux ! Et qu'est-ce que les gens allaient penser de ces faire-part (encore le fameux «qu'en dira-t-on») ? En plus, nous ne voulions pas nous marier à l'église (il va falloir m'expliquer un jour, pourquoi un mec célibataire, potentiellement pédophile, peut expliquer la vie de couple à des futurs mariés ?), c'était aussi la catastrophe pour ma mère (mais vu le couple parfait qu'elle formait avec mon père, ça prouvait bien qu'un mariage à l'église n'avait strictement aucune valeur morale). Puis, il y a surtout le fait que ma mère n'a pas payé de billet de train à mon frère qui était alors en stage à Valence : elle avait très lourdement insisté pour que je demande à un copain habitant sur Grenoble de prendre mon frère au passage, ce qui était une très mauvaise idée car le copain en question était la tête en l'air par excellence et bien qu'il soit ingénieur, il n'avait pas de voiture en état de rouler. Mon frère (qui était mon témoin) et mon copain sont donc arrivés in-extremis pour le mariage dans le Lot et Garonne, en stop ! Ma mère avait juste à payer sa quote-part pour ses invités au mariage, n'aurait-elle pas pu payer le train à mon frère ?

Par la suite, l'emprise maternelle s'est un peu atténuée, l'éloignement aidant. Mais mes parents sont toujours convaincus d'être les meilleurs au monde et qu'ils sont exemplaires (et par conséquent, que leur exemple doit être suivi). Des gamins ont certainement connu bien pire mais mes parents considèrent aujourd'hui que grâce à eux, je n'ai jamais manqué de rien, que j'ai pu faire des études et qu'aujourd'hui, je suis heureux dans la vie, en bonne santé, avec un magnifique travail à vie (dans une multinationale cotée en bourse, le genre de boîte qui se restructure ou se fait racheter tous les 10 ans en fonction des derniers caprices des actionnaires) qui m'enthousiasme et que, bien évidemment, je suis riche à profusion (c'est vrai, je ne me rappelle plus où le jardinier a garé le yacht)... Bien évidemment, pour ceux qui n'auraient pas compris, cette dernière phrase est très ironique. Ils ont une amnésie très sélective sur leur comportement à l'époque. Pour preuve, quand je me suis acheté une moto 125 cm³ pour aller au travail, mon père m'a sorti «tu ne nous a jamais fait chier pour avoir une mobylette ?». Et oui, je ne les ai pas emmerdés sur ce sujet (mais eux m'ont toujours fait chier) car c'était inutile que je demande, je connaissais la réponse d'avance : «Niet ! Trop dangereux, on n'a pas d'argent, je me sacrifie pour toi, tu n'as aucune reconnaissance, tu vas me tuer...». Ils ont oubliés que c'était la réponse universelle à la moindre de mes demandes (et ça devait être pareil pour mon frère, même s'il a été un peu plus chanceux que moi car sa réponse «je suis la dernière roue du carrosse» portait ses fruits). Puis, quand ils venaient chez nous (au début, on les invitait pour Noël ; Anne-Marie pensait que je me faisais de fausses idées car mes parents cherchent toujours à être bienveillants avec les gens de l'extérieur, mais elle a fini par comprendre), avec leur air de maître absolu arrivant en terrain conquis, j'avais aussitôt le droit à des remarques qui montraient bien qu'au fond, ils n'avaient pas changé. «Tu devrais tailler ta haie » (qui venait d'être taillée deux mois auparavant et ma haie n'avait pas repoussée durant l'hiver), «tu as bâclé la peinture dans ta cuisine » (sentence ponctuée de grands «hein, Anne-Marie», ch'nord oblige) ou «tu n'aurais pas dû prendre telle porte de garage, tu vas le regretter» (avec le «tu vas le regretter» déclamé sur un ton de super-héros américain ; bien évidemment, ma mère ayant été dactylo dans un cabinet d'architectes, elle se croyait en droit de critiquer nos choix, à Anne-Marie et moi ; sachant que ma mère ne nous a bien évidemment et absolument pas aidé financièrement pour la construction de la maison, elle n'avait pas le droit de critiquer et surtout pas sur un ton qui se comprenait comme «t'es con d'avoir pris une porte pareille, moi, grande architecte, je sais ce qu'il fallait prendre !» ; comme on dit, les conseilleurs ne sont pas les payeurs...). Ils étaient toujours en train de me critiquer, alors qu'eux n'ont jamais rien fait de bien pour ce qui touche à leurs maisons ou, comme d'habitude, ils ont commencé des choses mais sans jamais les finir, en laissant tout se dégrader.

Une des pires arrivées de ma mère chez nous, est la fois où elle a aussitôt ânonné, sans même dire bonjour, un «ton cousin m'a dit que tu avais un autre site internet !» (phrase qui se traduisait par «tu as osé faire un autre site internet sans me demander la permission, à moi, ta mère, puits de connaissance universelle»), avec un ton accusateur, façon inquisition au moyen-âge ! Déjà, ce n'était pas le cas (avoir des comptes sur des forums internet ne signifie pas qu'on a un site internet), mais en quoi cela regardait ma mère ? Les gens de bonne famille bourgeoise ne font pas de blog où ils racontent leur vie et ils n'ont pas de métier ou de passe-temps artistique ? Et bien, maintenant, j'ai tout déballé sur internet (ce qu'ils ne verront jamais car ils ne savent pas utiliser internet) ! On passera aussi sous silence quand je suis rentré dans une entreprise du secteur automobile (alors que mon rêve était de travailler dans l'aéronautique ou le spatial), mon père était tout content que ses deux fils travaillent dans l'automobile, pour avoir des infos en exclusivité sur les nouvelles voitures en développement. Pour preuve ? Quand j'ai changé de poste dans cette entreprise, pour ne plus travailler sur les nouveaux projets, la réaction de mon père a été «c'est dommage» ! C'était dommage parce qu'il n'allait plus avoir d'infos exclusives alors que je passais dans un domaine qui m'intéressait plus, mais mon intérêt passait bien évidemment après le sien.

Une dernière anecdote ? Il y a quelques années, Anne-Marie et moi avons aidé ma mère à acheter un nouvel ordinateur pour son entreprise, un PC sous Windows 95, système d'exploitation que nous ne connaissions pas à l'époque. Nous avons gardé un mois l'ordinateur chez nous pour apprendre à connaître ce système et le configurer avant de l'amener dans le nord. Quelques mois après, l'interrupteur du PC est tombé en panne : ma mère m'a appelé au travail, pour me demander ce que j'avais fait avec ce PC, en adoptant le ton exécrable, rempli de haine et de violence, qu'elle utilisait trop souvent, comme si j'avais pu le casser à 800 km de distance et que j'avais la moindre responsabilité dans cette panne. Ca m'a surtout fait comprendre une chose : pour elle, ma génitrice qui m'avait fait l'insigne honneur de me donner la vie, je devais être à son service immédiat quelles que soient les circonstances, même si je ne pouvais pas à cause de mon travail ! Pourquoi ai-je vraiment l'impression que je ne suis né que pour le bon plaisir de mes parents, pour les aider, sans la moindre affection en retour (ou alors une affection limitée à celle qu'un ouvrier peut porter à ses outils car sans eux, il ne peut travailler et subvenir à ses besoins). Pour preuve, alors que dans ma famille, nous ne nous sommes jamais embrassés, après mon mariage, mes parents se sont mis à tendre la joue lors de nos rencontres, pour être embrassés (mais leur posture ressemblait un peu à celle de rois qui attendent la révérence de la part de leurs sujets). La réponse la plus simple à ce changement de comportement est qu'il fallait qu'ils se montrent d'un meilleur jour vis-à-vis de ma belle-famille. En aucun cas, c'était de l'affection tardive ! J'ai eu une chatte, Zig, qui avait beaucoup plus d'affection à mon égard que mes deux andouilles de parents. C'est vraiment horrible de penser que cela puisse être vrai mais c'est pourtant le cas (même si on peut faire confiance à l'espèce humaine et affirmer sans risque que mon cas n'est malheureusement pas une exception qui confirme la règle ; et que Zig était exceptionnelle).

Et le pire du pire ? Quand ils ont pris leurs retraites, avec l'argent de la vente de leur fond de commerce, ils ont fait construire un hangar pour abriter les vieilles épaves de mon père (la 202, 204, 4cv...) qu'il ne remettra jamais en état ! N'importe quel artisan aurait placé cet argent pour lui assurer des revenus pour sa retraite, mais eux l'ont dépensé, inutilement, comme d'habitude ! Mais comment leur faire comprendre qu'ils ont encore fait une énorme connerie, eux, ces individus très intelligents, représentants sur Terre de la perfection absolue, de la bonté suprême et de la sagesse omnipotente, puits de connaissance universelle, grands détenteurs de la vérité fondamentale et bienfaiteurs de l'Humanité ? Mais, ce n'est pas grave, leurs enfants paieront car ils gagnent des millions et ne sont pas à quelques milliers d'euros près par mois (puisqu'ils voyagent aux 4 coins de la Terre en dépensant une fortune). Et s'ils refusent, ce seront les pires salauds complétement dénoués de reconnaissance envers leurs parents qui se sont sacrifiés pour eux (les délires de ma mère devaient être prémonitoires). Ite, missa est !